En cette fin d’année 1895, c’était sans doute le plus beau cadeau jamais offert au monde. Samedi 28 décembre, à Paris, Louis et Auguste Lumière organisaient au Grand Café, boulevard des Capucines, la première séance publique de films avec un appareil de leur invention. A cet emplacement se dresse aujourd’hui l’hôtel Scribe.
Spécialisés dans la fabrication de plaques photographiques, les deux industriels lyonnais avaient perfectionné leur appareil, baptisé Cinématographe Lumière, lors de projections privées sept mois auparavant. Celui-ci s’inspirait de la machine à coudre de leur mère, avec un entraînement du film assuré par une griffe qui s’engageait dans les perforations qui y avaient été effectuées. Avec la persistance rétinienne, l’illusion du mouvement était ainsi parfaite.
C’est une mécanique légère, robuste, manœuvrée par une simple manivelle, aussi transportable qu’une valise et qui a cette propriété remarquable de pouvoir servir à trois usages : prise de vues, projection, tirage des positifs. Un opérateur muni d’un Cinématographe Lumière possédait donc une sorte de valise magique tenant lieu à la fois de studio, d’usine de tirage, de cabine de projection, et qui pouvait fonctionner en tout lieu, d’un bout à l’autre du monde.
Georges Sadoul – L’invention du cinéma (1946)
Quant au nom de « Cinématographe », c’est Léon Bouly, un Français, qui le breveta en 1893 pour dénommer son chronophotographe à pellicule inspiré de celui de Marey, l’inventeur du fusil photographique en 1882. Le prototype de Bouly est conservé au musée des Arts et Métiers, à Paris.
La projection sur écran enfin possible
Grâce aux travaux des Lumière, le cinéma devient accessible à tous. Dix films très courts, réalisés en plan fixe, figuraient au programme de cette première séance publique et payante du 28 décembre 1895, qui rassembla 33 spectateurs au Grand Café, près de l’Opéra. Ils ont été tournés à Lyon durant l’été par Louis Lumière, ainsi que dans la propriété familiale de La Ciotat (Bouches-du-Rhône) :
- La sortie de l’usine Lumière à Lyon
- La voltige
- La pêche aux poissons rouges
- Le débarquement du congrès de photographie à Lyon
- Les forgerons
- Le jardinier (ou l’arroseur arrosé)
- Le repas de bébé
- Le saut à la couverture
- La place des Cordeliers à Lyon
- Baignade en mer.
La sortie de l’usine Lumière, premier film sur pellicule argentique tourné le 19 mars 1895, montre les portes de l’établissement situé dans le quartier Monplaisir, à Lyon, s’ouvrir pour laisser s’échapper une foule de travailleurs. D’abord les femmes, très élégantes avec leurs grands chapeaux, puis les hommes. La séquence s’achevait sur la fermeture des mêmes portes.
Le premier film comique
Avec son amorce de scénario, l’arroseur arrosé, dont le titre d’origine était « Le jardinier et le petit espiègle », est le premier film comique de ce qui n’était pas encore le 7e art. Le gag, pourtant léger, déclenche l’hilarité dans la salle et convainc les Lumière à le reprendre pour l’affiche publicitaire de leurs prochaines séances. Le jardinier n’est autre que celui de la famille lumière, à Lyon, et le chenapan, un apprenti de leur usine.
A la fin du spectacle, nous restâmes tous bouche bée, frappés de stupeur, surpris au-delà de toute expression. C’était du délire et chacun se demandait comment on avait pu obtenir pareil résultat.
Georges Méliès, directeur du théâtre Robert-Houdin
Succès immédiat
La salle, ravie et comme hallucinée, s’était forgée une opinion : le cinéma est magique. Il est partout et rien ne lui échappe ou ne saurait lui échapper. Devant l’afflux incessant des curieux, les frères Lumière devront jouer les prolongations.
La presse, sceptique au début, s’enthousiasme et ne tarit pas d’éloges, employant le terme de « photographie animée ».
Malgré ce triomphe, Louis et Auguste Lumière, tout comme Thomas Edison, inventeur américain du Kinétoscope en 1894 (appareil de visionnement individuel d’images animées), ne croient pas en l’avenir du cinéma de divertissement.
Trois ans plus tard, ils abandonnent la production de films. Le flambeau sera vite repris par Georges Méliès, Charles Pathé et Louis Gaumont, qui bâtiront une énorme industrie tout en perfectionnant le langage de l’image pour donner au cinéma balbutiant ses lettres de noblesse.
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